Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/276

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des législatures et la métropole : lutte qui, en ce moment même, n’est point encore terminée.

Le bill d’émancipation n’avait soumis à l’apprentissage que les enfants âgés de plus de six ans. Ceux qui se trouvaient au-dessous de cet âge étaient sur-le-champ classés au nombre des personnes libres.

Il ne paraît pas qu’aucune mesure ait été prise pour procurer à ces derniers une éducation convenable. Ce fut là, on doit le dire, une grande erreur. Il fallait ou laisser ces enfants dans la condition de leurs pères, ou charger l’État de les diriger et de les instruire. En les livrant à eux-mêmes et en les abandonnant au hasard, on s’est créé de grands embarras dans le présent, et on a peut-être préparé de grands dangers pour l’avenir.

La mesure de l’apprentissage a été aussi, en Angleterre, l’objet de très-vives critiques ; des hommes d’État éminents ont condamné le principe même de la mesure[1] ; ils ont dit qu’un travail forcé, quel qu’il fut, ne préparait pas l’homme à un travail volontaire, et qu’on ne pouvait apprendre que dans la liberté à être libre. D’autres ont combattu le système d’apprentissage qui avait été adopté, tout en admettant qu’un apprentissage était nécessaire.

Votre commission a partagé ce dernier sentiment.

Elle a pensé qu’un temps d’épreuve, pendant lequel les nègres, déjà pourvus de plusieurs droits de l’homme libre, sont encore forcés au travail, était indispensable pour familiariser les colons aux effets de l’émancipation, et pour leur permettre d’introduire dans leurs habitudes et dans leur méthode de culture les divers changements que l’émancipation doit amener.

Cet état intermédiaire, entre la servitude et l’indépendance , ne lui a pas paru moins nécessaire pour préparer l’éducation de la population noire, et la mettre en état de supporter la liberté.

Tant que la servitude existe en son entier, le maître ne souffre pas que la puissance publique intervienne entre lui et son esclave. Lui seul le dirige, et l’esclave ne connaît que lui. Cela est de l’essence même de l’esclavage. On peut prévoir que, tant que l’esclavage n’est pas aboli, le gouvernement doit trouver mille difficultés à arriver jusqu’au noir et à le préparer à la liberté. Les mêmes obstacles n’existent plus lorsque le nègre, cessant d’appartenir au

  1. Voyez, entre autres, le discours prononcé par lord Howich, le 30 mars 1830.