Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duits, des intérêts ou des caprices des peuples étrangers, son industrie est perpétuellement livrée aux chances du hasard. Il n’en est point ici quand une partie considérable de son commerce extérieur se fait avec ses colonies, car il y a rarement de variations très-considérables, et surtout de variations très-brusques sur le marché de nos colonies. Le commerce y est établi sur des bases qui ne changent guère, et si, à certain moment, l’écoulement qui se fait de ce côté est moins considérable qu’il ne pourrait être dans des contrées étrangères, du moins il ne s’arrête jamais tout à coup. Le gain est souvent moins grand, mais il est sûr, et la métropole, un peu moins riche, est plus tranquille. Tel est, à mes yeux, le grand avantage que présente le commerce colonial, avantage qu’il ne faudrait pas sans doute acheter trop cher, mais qu’il serait très-injuste de méconnaître et très-imprudent de négliger.

Je reconnais cependant que le principal mérite de nos colonies n’est pas dans leurs marchés mais dans la position qu’elles occupent sur le globe. Cette position fait de plusieurs d’entre elles les possessions les plus précieuses que puisse avoir la France.

Cette vérité paraîtra évidente si l’on veut bien regarder un moment la carte.

Le golfe du Mexique et la mer des Antilles forment, en se réunissant, une mer intérieure qui est déjà et doit surtout devenir un des principaux foyers du commerce.

Je vais écarter tout ce qui n’est que probable : le percement de l’isthme de Panama, qui ferait de la mer des Antilles la route habituelle pour pénétrer dans l’océan Pacifique, le développement de la civilisation dans les vastes régions à moitié désertes et barbares, qui bordent la mer des Antilles du côté de l’Amérique méridionale ; la pacification du Mexique, vaste empire qui compte déjà presque autant d’habitants que l’Espagne, le progrès commercial des Antilles elles-mêmes. Si toutes ces admirables contrées, différentes, par les coutumes de ceux qui les habitent, par leurs goûts, leurs besoins, et placées cependant en face les unes des autres, achevaient de se couvrir de peuples civilisés et industriels, la mer qui les rassemble toutes serait, à coup sûr, la plus commerçante du globe. Tout cela est problématique, dit-on, et n’arrivera peut-être jamais. Cela est déjà arrivé en partie. Mais venons au certain. C’est dans ces mers qu’aboutit le Mississipi et l’incomparable vallée qu’il ar-