Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/289

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de la nation pour ses possessions tropicales est aujourd’hui le plus grand et pour ainsi dire le seul obstacle qui s’oppose à ce que l’émancipation soit sérieusement entreprise, que je croirai la cause de celle-ci gagnée le jour où le gouvernement et le pays seraient couvaincus que la conservation des colonies est nécessaire à la force et à la grandeur de la France. C’est donc à établir cette première venté qu’il faut d’abord s’attacher.




DEUXIÈME ARTICLE[1]


Dans le principe on a trop exalté l'importance commerciale des colonies. Il est bien vrai qu’une partie considérable du commerce maritime de la France se fait avec elles, et que la marine marchande qui s’occupe de ce commerce y emploie un très-grand nombre de nos vaisseaux et plusieurs milliers de nos marins ; mais de pareils faits ne sont pas concluants ; car s’il n’y avait pas de colonies on irait chercher ailleurs les denrées tropicales que nous sommes obligés d’aller prendre dans nos îles, et avec les pays qui nous fourniraient ces denrées, nous ferions un commerce certainement égal et probablement supérieur à celui que nous faisons avec nos colons. D’une autre part, on a, dans ces derniers temps, déprimé outre mesure l’importance commerciale de nos possessions d’outre-mer. Ce qui fait la principale sécurité de ces établissements, ce n’est pas la grandeur, c’est la stabilité des marchés qu’ils présentent.

Voyez le spectacle que donnent, de nos jours, toutes les grandes nations de l’Europe : partout la classe ouvrière devient plus nombreuse ; elle ne croît pas seulement en nombre, mais en puissance ; ses besoins et ses passions réagissent si directement sur le bien-être des États et sur l’existence même des gouvernements, que toutes les crises industrielles menacent de plus en plus de devenir des crises politiques.

Or, ce qui amène principalement ces perturbations redoutables, c’est l’instabilité des débouchés extérieurs. Lorsqu’une grande nation industrielle dépend uniquement, pour l’écoulement de ses pro-

  1. 29 octobre 1843.