Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/313

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sucre colonial et que, tant que durerait la crise produite par ce grand événement, il ne fallait pas abaisser le droit qui frappe à son entrée le sucre étranger.

La dernière garantie qu’il est équitable d’accorder aux colons c’est une indemnité représentant la valeur vénale des esclaves mis en liberté. Durant les dix ans qui, dans le système de la commission, s’écoulent entre le moment où le principe de l’abolition de l’esclavage est adopté et celui où, en fait, l’esclavage est détruit, on prépare les esclaves à la liberté et on liquide la propriété coloniale. Durant cette période, les colons n’éprouvent aucun préjudice et conséquemment n’ont droit à aucune indenmité. Mais le jour où la servitude venant à cesser, le travail des nègres cesse d’être gratuit, la question de l’indemnité se présente. L’esclave est-il réellement une propriété ? De quelle nature est cette propriété ? À quoi l’État, qui la fait disparaître, est-il obligé en droit et en équité ? M. le duc de Broglie a traité cette partie si difficile et si délicate de son rapport en économiste, en philosophe et en homme d’État. C’est la portion la plus saillante de ce grand travail ; nous voudrions pouvoir la mettre sous les yeux de nos lecteurs ; mais les limites que nous devons nous imposer nous en empêchent. Nous nous bornerons donc à dire que la commission arrive à démontrer qu’il serait contraire à toutes les notions de l’équité et à l’intérêt évident de la métropole, d’enlever aux colons leurs esclaves sans les indemniser de leurs pertes.

La commission, à la suite d’un long et consciencieux travail, a cru devoir fixer cette indemnité à 1, 200 francs par tête de nègre. Les Anglais avaient acquitté l’indemnité de deux manières : au moment de l’abolition, ils avaient remis la moitié de la somme promise aux planteurs et, en outre, ils leur avaient assuré, pendant sept ans, une partie du travail gratuit des affranchis. Ils avaient calculé que le prix de ce travail équivaudrait au bout de sept ans à l’argent qu’on ne payait pas. La commission a adopté une mesure, sinon semblable, au moins analogue.

Le capital dû pour les deux cent cinquante mille esclaves des colonies, à 1, 200 francs par tête, étant 300 millions, la moitié, ou 150 millions, représentée par une rente de 6 millions à 4 p. 0/0, serait accordée aux colons et placée à leur compte à la caisse des dépôts et consignations. Par celle opération, la métropole s’ac-