Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/312

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le rapporteur, un certain degré de perturbation dans le travail colonial. Dans les premiers moments, la production sera nécessairement réduite. Si, dans ce même temps, le prix des sucres ne s’élève point, à plus forte raison s’il vient à baisser, les colons, déjà gênés, souffriront dans leurs revenus une perte qui leur rendra difficile et peut-être impossible de faire face à leurs obligations nouvelles.

Un très-léger sacrifice imposé aux consommateurs suffirait au contraire pour les tirer d’affaire et mener à bien l’entreprise. Quelques chiffres mettront ceci en évidence. Les colonies nous vendent anjourd’bui 80 millions de kilogrammes de sucre, à raison de 125 francs les 100 kilogrammes : ce qui leur rapporte 100 millions de francs. Supposez qu’après l’abolition de l’esclavage, l’importation du sucre colonial tombe à 70 millions de kilogrammes, et que, par suite de l’introduction du sucre étranger, ou grâce à une faveur particulière accordée au sucre de betterave, le prix de vente reste à 125 francs les 100 kilogrammes, le revenu des colons sera diminué de 12,500,000 francs, perte écrasante, qu’il faudra répartir sur un très-petit nombre de producteurs. Que le prix du sucre, au contraire, s’élève à 145 francs les 100 kilogrammes, ce qui n’a rien d’extraordinaire et s’est vu plusieurs fois dans ces dernières années, les colons ne perdent rien et le consommateur ne paye la livre de sucre que deux sous de plus.

C’est précisément ce qui est arrivé en Angleterre. La production du sucre colonial a diminué d’un quart après l’émancipation, ainsi que nous l’avons vu. Mais grâce aux tarifs protecteurs, le prix du sucre colonial s’étant élevé par suite de la rareté même de la denrée, les colons n’ont pas reçu moins d’argent, ce qui leur a permis jusqu’ici de résister aux conséquences désastreuses de l’élévation des salaires.

Il est même arrivé cette circonstance bien remarquable que le gouvernement ayant voulu, en 1840, baisser de près de moitié le droit qui s’opposait à l’entrée des sucres étrangers, la chambre des communes, c’est-à-dire la branche de la législature qui représentait le plus directement les consommateurs, s’y opposa et plutôt que de le souffrir, aima mieux renverser le ministère.

Ces considérations ont porté la commission des affaires coloniales à déclarer qu’à son avis il était nécessaire, avant de procéder à l’émancipation, d’établir l’égalité entre le sucre de betterave et le