Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/322

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minels. Détenir un accusé jusqu’à ce que son innocence soit prouvée, est rigoureux ; mais le forcer de vivre, en attendant son jugement, au milieu d’une population de malfaiteurs, est tout à la fois imprudent et cruel.

Afin de diminuer les dangers et la rigueur de ce contact des accusés entre eux, sans leur imposer la solitude, on avait imaginé d’abord et on a quelquefois essayé le système des catégories et des falssifications de détenus. L’expérience n’a pas tardé à en démontrer l’impuissance.

Il n’y a en effet rien de mieux prouvé que l’inutilité des classifications des détenus pour prévenir leur corruption mutuelle. Sur ce point, tous les hommes qui ont vu de près les prisons sont aujourd’hui d’accord. Mettre ensemble des hommes d’une immoralité égale, c’est déjà vouloir que chacun d’eux devienne, à la longue, plus mauvais qu’il n’était ; mais, de plus, il eût été impossible de savoir quels sont les criminels dont l’immoralité est égale. Il n’y a pas de signe extérieur ipii puisse indiquer avec quelque certitude le degré de corruption auquel est arrivé un accusé, non plus que les moyens qu’il possède pour communiquer autour de lui ses vices. Le fait punissable qui lui est imputé ne jette sur ce point que très-peu de lumière. M. le ministre de l’intérieur ayant demandé, en 1850, aux directeurs des maisons centrales, si, parmi les détenus qu’ils avaient sous les yeux, les condamnés pour crimes leur paraissaient plus corl’ompus que les condamnés pour délits, presque tous répondirent que la différence entre ces deux catégories était insaisissable, et qu’en tous cas elle serait plutôt en faveur des criminels. Si l’on veut que des accusés ne se corrompent pas les uns les autres, il n’est qu’un seul moyen d’y parvenir, c’est de mettre chacun d’eux à part.

Il ne faut pas confondre cet isolement avec le seciet. Le prévenu mis au secret est d’ordinaire plongé dans la solitude la plus profonde, au moment même où il aurait le plus d’intérêt à interroger tous ceux dont il attend quelque secours ; il est privé des avis de ses parents, de ses amis, de son défenseur, quand il sent le plus vivement le besoin de leur parler ou de leur écrire. Ce seul fait, qu’il est l’objet d’une mesure exceptionnelle, contraire aux habitudes de la justice, suffit d’ailleurs pour produire une très-vive impression sur son esprit et pour le remplir de terreur. Dans le système du projet de loi, le