Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/323

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prévenu est séparé, il est vrai, de la population vicieuse qui remplit la prison, mais on lui facilite, autant que l’ordre de la maison peut le permettre, toute espèce de rapport avec la société honnête du dehors. Ses parents, ses amis, son défenseur peuvent le visiter chaque jour, et correspondre avec lui. Il se livre au travail qu’il préfère, et le fruit de son travail lui appartient tout entier ; en un mot, si on le sépare des autres détenus, l’on ne saurait dire qu’il soit mis dans la solitude.

On ne croira pas qu’un pareil régime puisse porter d’atteinte sérieuse à la santé non plus qu’à la raison des détenus, surtout si l’on songe à la courte durée qu’a d’ordinaire la détention préventive. En 1858, sur près de 19,000 individus arrêtés pour crimes ou délits, et qui ont été déchargés des poursuites ou acquittés, 15,000, ou les deux tiers, ont passé moins d’un mois en prison ; 285 seulement y ont passé six mois ou plus de six mois.

Or on peut affirmer aujourd’hui, avec la dernière certitude, que l’emprisonnement individuel, appliqué aux courtes détentions, lors même que le régime est plus dur que celui que nous venons de décrire, ne présente aucun danger et ne peut compromettre ni la santé ni la raison.

Il faut bien remarquer, d’ailleurs, que si ce régime est pénible pour quelques accusés ou pour quelques prévenus, ceux-là sont en général des hommes déjà corrompus ou coupables, pour lesquels la vie commune, dans une société de malfaiteurs, n’a rien de nouveau et qui ne ressentent ni honte ni douleur à la mener : ceux-là souffriront sans doute de l’isolement où on les place. Mais quel est l’accusé honnête qui ne le considérera pas comme un bienfait ? Dans l’état actuel de nos prisons préventives, c’est le détenu corrompu ou coupable qui se sent bien ; c’est le détenu innocent ou honnête qui se sent mal. Dans le régime indiqué par le projet de loi, l’inverse aura lieu : il faut s’en applaudir.

Votre Commission, messieurs, s’est donc prononcée à l’unanimité pour le principe du projet de loi en ce qui concerne les maisons destinées à renfermer les accusés et les prévenus. Elle en a également adopté les différentes dispositions, et elle est passée à l’examen du titre III, qui traite des prisons pour peines.

La première question que nous nous soyons posée est celle-ci :

Est-il nécessaire d’adopter un nouveau système d’emprisonne-