Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’examen de ces documents a convaincu la Commission qu’un certain effet de moralisation avait été produit par le nouveau régime, principalement dans les prisons de femmes où les sœurs avaient remplacé les anciens gardiens. Mais elle pense que ce bien reste renfermé dans de très-étroites limites.

Presque tous les inspecteurs-généraux semblent croire que la réforme obtenue n’est ni étendue ni profonde.

Parmi les directeurs de prisons, quelques-uns nient positivement qu’il y ait eu réforme morale, quoique leur intérêt personnel dut souvent les porter à présenter les choses sous un autre jour.

Dans toutes les prisons, il est vrai, les détenus ont suivi avec un grand empressement les cérémonies du culte, et se sont adonnés aux pratiques religieuses. Rien ne saurait être de meilleur augure que ces manifestations si elles étaient sincères ; car, ainsi que le dit avec raison un inspecteur-général dans son rapport, « nulle puissance humaine n’est comparable à la religion pour opérer la réforme des criminels, et c’est sur elle surtout que repose l’avenir de la réforme pénitentiaire. »

Il est indubitable que chez plusieurs détenus ce symptôme de conversion a été accompagné d’un changement réel dans les sentiments et dans la conduite. Mais cela est-il vrai pour un grand nombre ? La plupart des directeurs de prison, et presque tous les inspecteurs en doutent. Quelques-uns le nient et donnent des preuves du contraire. Plusieurs de MM. les aumôniers paraissent eux-mêmes concevoir des craintes à cet égard, si l’on en juge par cette phrase du rapport de l’un d’entre eux : « Je suis toujours en garde, dit-il, contre l’hypocrisie qui, en général, a remplacé le faux respect humain, qui autrefois exerçait sur les détenus un si grand empire. »

On a remarqué que, depuis que le nouveau régime est en vigueur, les détenus ont envoyé à divers membres de leur famille, principalement à leurs femmes, une partie de l’argent qu’ils gagnaient dans la prison. C’est là un bon signe, sans doute, mais dont il ne faut pas s’exagérer la portée ; car, ainsi que le font observer plusieurs directeurs et inspecteurs dans leur rapport, un envoi de cette espèce peut être attribué à plusieurs motifs fort étrangers à la moralité[1] de celui qui le fait. Ces envois, d’ailleurs, sont la conséquence pour ainsi dire nécessaire des réformes introduites par

  1. À ce point que l’un des directeurs d’une des plus grandes mai-