Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/336

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Il y a dix-sept ans que la règle du silence a été introduite pour la première fois dans quelques-unes des prisons d’Angleterre, et qu’on a cherché à l’y maintenir sans avoir recours au fouet. Le résultat de cette longue expérience a été de convaincre tous les Anglais qui s’occupent pratiquement de la question, que ce système devait être abandonné. « Le système du silence, disent les inspecteurs-généraux[1], est un système sévère dans sa discipline, impuissant et contraire à la réforme. Le système du silence, avaient-ils dit précédemment[2], quoique favorable à l’ordre de la prison et à la discipline, a des conséquences si fâcheuses et qui nous paraissent si redoutables, qu’à notre avis il ne parviendra jamais à éloigner du crime et à réformer les criminels ». Ces mêmes fonctionnaires recommandent de toutes leurs forces l’adoption du système de l’emprisonnement individuel, et on a vu plus haut que c’est en effet celui-là que le gouvernement anglais a choisi. Votre Commission, messieurs, a également pensé que le système du travail commun en silence, quand on le séparait des châtiments corporels et qu’on voulait l’appliquer à près de quarante mille détenus, par l’effort combiné d’une multitude de fonctionnaires peu rétribués et placés dans une situation qui n’attire pas les regards, que le système présentait des difficultés d’exécution trop grandes et des résultats trop douteux pour qu’il fût sage de l’adopter. Sa conviction sur ce point s’est encore affermie quand elle a vu que, pour achever d’introduire un pareil régime dans nos prisons, il fallait encore faire des dépenses très-considérables. En effet, le système d’Auburn n’a pas seulement pour condition de succès le silence, mais encore la séparation individuelle de nuit ; ces deux choses se tiennent et ne peuvent être séparées. En vain parviendrait-on à imposer le silence pendant le jour, si l’on ne pouvait empêcher que pendant la nuit les détenus n’aient des rapports entre eux. Il n’y a pas un seul des documents dont il a déjà été parlé qui ne montre l’indispensable nécessité de créer des cellules de nuit dans nos maisons centrales.

Parmi les rapports qui ont été soumis à notre examen, il en est plusieurs qui prouvent jusqu’à la dernière évidence que, malgré les progrès incontestables de la surveillance et la sévérité de la disci-

  1. Septième rapport (1842), p. 175.
  2. Cinquième rapport (1840), p. 235.