Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/363

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hommes sortaient plus corrompus et plus dégradés. Au nom de la morale et de l’humanité, une réforme du système actuel qui régit les bagnes avait été demandée ; la Commission croit de son devoir d’appeler de nouveau l’attention du gouvernement sur un état de choses qui se continue pour le plus grand dommage de la société : » Le projet actuel réalise ce vœu. Le gouvernement a eu d’autant plus de facilité à y céder, que, sous le point de vue de l’économie publique, les bagnes sont une détestable institution. Voici ce qu’on lit dans le rapport présenté au ministre de la marine, en 1858, par M. le baron Tupinier, alors directeur des ports : « Les forçats ne sont pas des auxiliaires nécessaires pour les travaux des ports ; ils y sont, au contraire, des collaborateurs fâcheux pour les ouvriers qu’ils corrompent, des hôtes fort dangereux pour la sûreté des arsenaux et du matériel.

« Il s’en faut de beaucoup que la marine retrouve dans la valeur du travail des forçats l’équivalent des sommes qu’elle dépense pour l’entretien des bagnes. Il y aurait environ neuf cent mille francs d’économie chaque année à employer des ouvriers libres : on rendrait ainsi un grand service à la population des ports, qui souffre faute de pouvoir trouver un salaire, et on débarrasserait la marine d’un véritable fléau. »

Les mêmes assertions se retrouvent dans une lettre écrite, en 1858, par M. le ministre de la marine à M. le ministre de l’intérieur, lettre qui a passé sous les yeux de la Commission.[1] La majorité de votre Commission croit devoir vous proposer

  1. ’Voici les principaux passages de cette lettre : « Paris le 22 août 1858. « Toutes les personnes qui se sont occupées d’examiner à fond le régime des arsenaux maritimes, ont été frappées des inconvénients graves qui sont attachés à l’emploi des forçats dans ces établissements, et des dangers de leur présence au milieu d’une grande masse d’ouvriers libres parmi lesquels ils circulent sans cesse, et dont ils partagent les travaux. n y a, en effet, un scandale de tous les instants : et, indépendamment des inconvénients déplorables qui en résultent pour la morale, c’est la source d’un grand nombre de vols qui occasionnent à la marine des pertes annuelles fort considérables sur la masse de ses approvisionnements. « Ma conviction est entière à cet égard : elle se fonde sur l’expérience que j’ai acquise comme préfet maritime, de ce qui se passe dans nos ports ;