Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/368

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A Philadelphie, on pourrait faire communiquer de temps en temps les détenus entre eux, ne fût-ce que dans les préaux, si cette communication devenait nécessaire. A Auburn, il serait impossible de les isoler, sans compromettre leur santé et rendre impossibles presque tous leurs travaux.

Il y a d’ailleurs ici un intérêt social du premier ordre qui nous oblige à ne point appliquer le nouveau système aux seuls individus condamnés à de courtes peines.

L’emprisonnement individuel est une chose nouvelle, qui est de nature à frapper les imaginations et à exciter d’avance de la terreur. Si ce mode d’emprisonnement n’était usité que pour les petits délits, il arriverait ceci : on semblerait appliquer le régime le plus sévère aux moins coupables, et réserver le plus doux pour les plus criminels : ce qui est aussi contraire à tous les principes de l’équité naturelle qu’aux notions du droit pénal. Un pareil système serait, de plus, fécond en dangers. On pourrait craindre qu’il ne fût considéré comme une excitation donnée par la loi elle-même à la perpétration des grands délits ou des crimes.

Nous en avons l’exemple sous les yeux : depuis quatre ans, le régime de nos maisons centrales a été rendu beaucoup plus sévère, tandis que celui de nos bagues est resté le même. Il en résulte qu’un certain nombre d’individus, détenus dans les maisons centrales, ont commis de nouveaux délits, dans le but unique de se faire condamner aux travaux forcés.[1] Tout se tient en effet dans le régime des prisons. Se borner à rendre plus dure la maison départementale, c’est pousser aux délits qui conduisent aux maisons centrales. Rendre plus austère le régime des maisons centrales, c’est engager à commettre les crimes qui mènent au bagne. La raison et l’intérêt public indiquent que, quand on aggrave un mode d’emprisonnement, il faut que l’aggravation se fasse sentir à la fois sur tous les degrés de l’échelle pénale.

La majorité de votre Commission a pensé que le nouveau système

  1. Voici ce qu’on lit dans une circulaire adressée par M. le ministre de l'intérieur aux préfets, le 8 juin 1842 : « Vous pouvez savoir que des condamnés ont commis de nouveaux crimes dans les maisons centrales, uniquement pour se soustraire à leur régime et aller au bagne. Dans ce cas.... (Suit l’instruction sur ce qu’il y a à faire dans ce cas.) »