Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/367

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qu’on fasse, quelques incertitudes. C’est là un mal nécessaire, mais qui n’est pas irrémédiable ; car il n’est personne qui prétende changer tout à coup, et d’un bout à l’autre d’un grand royaume comme la France, la construction et l’appropriation de toutes les prisons qu’il referme. Une pareille réforme ne saurait se faire que graduellement : si le changement est graduel et ne peut s’opérer qu’à l’aide d’un certain nombre d’années, l’expérience acquise dans les premières prisons construites apprendra ce qu’il finit ajouter ou retrancher dans les autres.

De quoi s’agit-il aujourd'hui  ? de changer à l’instant l’état de toutes nos prisons ? Non. Il s’agit seulement d’indiquer un régime en vue duquel on devra agir désormais toutes les fois qu’on aura à modifier d’anciennes prisons ou à en bâtir de nouvelles. Or, quelles sont les prisons dont il est, en ce moment, le plus urgent de s’occuper ? Ce ne sont pas les maisons départementales ; car ces prisons peuvent contenir les six à sept mille individus qui y sont détenus. Ce qui va manquer, ce sont les prisons destinées à renfermer les condamnés aux travaux forcés, puisque la destruction des bagnes, depuis si longtemps demandée par l’opinion publique, est enfin arrêtée. Ce qui manque déjà, ce sont des maisons appropriées à l’usage des condamnés réclusionnaires et correctionnels que les maisons centrales ne peuvent plus contenir. La nécessité de bâtir des prisons à long terme est pressante. Elle contraint dès aujourd’hui l’administration et les Chambres à prendre parti, et à adopter dès aujourd’hui un système de détention qui puisse être mis en vigueur dans les prisons nouvelles. Car, ainsi que nous l’avons déjà dit, il est impossible de bâtir des prisons, et surtout de grandes prisons, sans savoir quel régime doit y être mis en pratique. Y eût-il encore quelques doutes sur ce régime, et par conséquent sur la construction à adopter, il serait encore sage, ainsi que le disait M. le ministre de l’intérieur dans son exposé des motifs en 1840, puiqu’on est forcé d’élever des prisons nouvelles, de bâtir celles-ci eu égard au régime de l’emprisonnement individuel, plutôt que dans la prévision de la vie commune, parce que la construction qui se prête à l'emprisonnement individuel peut, jusqu’à un certain point, se prêter à la communication des détenus entre eux ; tandis que la cellule, construite en vue de la vie commune, ne saurait s’approprier à l’emprisonnement individuel.