Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/378

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de la rigueur du nouveau système. Il a craint qu’on ne pût, sans inhumanité, y soumettre indéfiniment les condamnés ; mais, suivant l'opinion des honorables membres, cette idée que le gouvernement se forme de l’emprisonnement cellulaire est fort exagérée. On l’a dit, l’emprisonnement cellulaire n’est pas la solitude : c’est l’obligation, on pourrait plutôt dire le privilège, de vivre à part d’une société de criminels. Cet emprisonnement n’est accompagné d’aucune souffrance physique ; il est distrait plutôt qu’aggravé par le travail. Il n’y a pas de détenus qui ne le préfèrent au système actuel, pour peu qu’il leur reste quelque trace d’honnêteté dans l’âme.

La majorité a répondu :

Cette appréciation du régime cellulaire est de nature à surprendre, car elle est nouvelle. Parmi les auteurs qui ont traité la matière, les uns ont repoussé le système cellulaire comme trop sévère ; les autres ont pensé que, malgré sa sévérité, on pouvait sans inhumanité l’appliquer  ; mais nul n’a mis en doute ses rigueurs. On peut en dire autant des hommes qui s’occupent pratiquement des prisons, et surtout de ceux qui ont eu l’occasion de visiter des pénitenciers cellulaires d’adultes. Il serait bien difficile, sinon impossible, d’en citer un seul qui n’ait exprimé cette opinion, que si l’emprisonnement individuel peut paraître, dans quelques cas très-rares, un adoucissement à certains condamnés, il est pour la presque totalité d’entre eux une peine beaucoup plus forte que l’emprisonnement ordinaire. Tous ont remarqué quelle impression salutaire, mais en même temps douloureuse, ce système laissait dans l’âme des hommes qui y étaient soumis ; quelle agitation profonde, et parfois quel trouble il jettait dans leur imagination ! Voilà ce que la théorie et la pratique avaient jusqu’ici appris. Non-seulement la peine est- sévère, mais sa sévérité s’accroît beaucoup plus par sa durée que cela ne se voit dans l’emprisonnement ordinaire.

Quand un homme a passé plusieurs années de sa vie en prison, les relations qu’il peut entretenir avec ceux de ses parents et de ses amis qui sont restés libres deviennent plus rares et finissent souvent par cesser entièrement. La société du dehors est un monde qu’il ne connaît plus et où il se figure aisément qu’on ne songe plus à lui. Ce changement se fait sentir dans toutes les prisons, quel