Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/377

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manière dont les peines sont subies. Le devoir du législateur est de rendre ces inégalités aussi rares et cette portion d’arbitraire aussi petite que possible. Mais se flatter qu’on réussisse complètement à les faire disparaître, c’est se croire plus fort que la nécessité même des choses.

En définitive, que veut-on ? changer un système d’emprisonnement qu’on juge dangereux à la société. Pour être efficace, il faut que le changement soit considérable ; si le changement est considérable, il constituera une peine différente de celle qui l’a précédée ; si les peines sont différentes, îl arrivera toujours que, pendant réponse transitoire durant laquelle elles seront concurremment appliquées, un certain nombre de détenus sera traité d’une autre manière que le reste. Si vous ne voulez pas subir cet inconvénient inévitable, et supporter ces embarras passagers, laissez les prisons dans l’état où elles se trouvent. C’est le seul moyen qui reste pour échapper à une difficulté de cette espèce.

Une dernière et importante question relative au nouveau régime d’emprisonnement a partagé la Commission.

Le projet de loi porte que, quelle que soit la durée de la peine prononcée, ou ne pourra subir plus de douze années consécutives dans la cellule ; après ces douze ans, le condamné sera employé à un travail commun en silence.

Cette disposition, que le projet de loi a empruntée au projet de la Commission de 1840, a été l’objet de plusieurs critiques très-vives dans les bureaux de la Chambre. Il a été aussi fort attaqué dans le sein de la Commission ; on a dit :

Quel est le principal but que se propose la loi ? Séparer les criminels les uns des autres ; empêcher qu’ils ne se corrompent mutuellement, et qu’ils ne forment en prison de nouveaux complots. Or, qu’arrive-t-il ici ? Après avoir poursuivi ce but pendant douze ans, on y renonce. On défait le bien si laborieusement produit. On rend le criminel à la société corruptrice de ses pareils, afin qu’après avoir repris les habitudes et les idées du vice, il les transporte de nouveau au dehors. Ou agit ainsi, non point à l’égard des coupables ordinaires, mais à l’égard des criminels les plus dangereux, ceux qui sont condamnés aux plus longues peines. Le gouvernement, en proposant une pareille infraction à sa propre règle, a été évidemment violenté par l’idée qu’il se faisait