Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/453

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qu’il peut faire, c’est d’intéresser ceux qui ont cette force et cette puissance de le servir.

Nous croyons ces trois maximes de gouvernement justes dans leur généralité ; mais nous pensons qu’elles n’ont de véritable valeur que par la sage et habile application qu’on en fait. Nous comprenons que, suivant les lieux, les circonstances, les hommes, il faut s’en écarter ou s’y renfermer ; c’est là le champ naturel du pouvoir exécutif ; il n’y aurait pour la Chambre ni dignité, ni utilité, à vouloir y entrer plus avant que nous ne venons de le faire. Mais si la Chambre ne peut entreprendre d’indiquer à l’avance, et d’une manière permanente et détaillée, quelle doit être l’organisation de notre gouvernement dans les affaires indigènes, et de quels agents il convient de se servir, elle a non-seulement le droit, mais le devoir de rechercher et de dire quel doit en être l’esprit et quel but permanent il doit se proposer.

Si nous envisageons d’un seul coup d’œil la conduite que nous avons tenue jusqu’ici vis-à-vis des indigènes, nous ne pourrons manquer de remarquer qu’il s’y rencontre de grandes incohérences. On y voit, suivant les temps et les lieux, des aspects fort divers ; on y passe de l’extrémité de la bienveillance à celle de la rigueur. Dans certains endroits, au lieu de réserver aux Européens les terres les plus fertiles, les mieux arrosées, les mieux préparées que possède le domaine, nous les avons données aux indigènes. Notre respect pour leurs croyances a été poussé si loin, que, dans certains lieux, nous leur avons bâti des mosquées avant d’avoir pour nous-mêmes une église ; chaque année, le gouvernement français (faisant ce que le prince musulman qui nous a précédés à Alger ne faisait pas lui-même) transporte sans frais, jusqu’en Égypte, les pèlerins qui veulent aller honorer le tombeau du Prophète. Nous avons prodigué aux Arabes les distinctions honorifiques qui sont destinées à signaler le mérite de nos citoyens. Souvent les indigènes, après des trahisons et des révoltes, ont été reçus par nous avec une longanimité singulière ; on en a vu qui, le lendemain du jour où ils nous avaient abandonnés pour aller tremper leurs mains dans notre sang, ont reçu de nouveau de notre générosité leurs biens, leurs hommes et leur pouvoir. Il y a plus ; dans plusieurs les lieux où la population civile européenne est mêlée à la population indigène, on se plaint, non sans quelque raison, que c'est en