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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/473

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mille Européens. On ne saurait s’en étonner, lorsque l’on considère la multitude de rouages dont on a surchargé la machine administrative, et surtout le grand nombre d’administrations centrales qu’on a créées. Ce qui coûte toujours le plus cher en administration, c’est la tête. En multipliant sans nécessité le nombre des grands fonctionnaires, on a accru, sans mesure, le nombre des grands traitements[1]. Ceci a conduit indirectement à des conséquences financières bien plus fâcheuses : en créant dans une sphère très-élevée des autorités parallèles ou presque égales, on a allumé entre elles les rivalités et les jalousies les plus ardentes. Cela était inévitable ; et comme aucun pouvoir supérieur ne contenait chacune de ces puissances secondaires dans la modération, il en est résulté, au grand détriment du Trésor, ces deux choses :

Chacune de ces administrations centrales a voulu s’installer dans un vaste hôtel, et n’y est parvenue qu’à très-grands frais pour le Trésor ; puis, chacune d’elles a tenu à s’entourer de nombreux bureaux. Les bureaux n’ont pas toujours été créés uniquement en vue des affaires, mais en vue de l’importance qu’avait, ou que désirait avoir, l’administration près de laquelle on les plaçait. L’Algérie contient aujourd’hui beaucoup plus de deux mille fonctionnaires européens de l’ordre civil[2] . On rencontre déjà, en Afrique, presque tous les fonctionnaires de France, et, de plus, lui grand nombre d’autres que nous ne connaissons pas. Cependant, on se plaint

    qu’il ne s’agit ici que de l’administration civile européenne ; les traitements de l’administration civile indigène ne figurent pas dans ce chiffre. Il faut aussi considérer que nous n’avons compté que les traitements des fonctionnaires, et non les indemnités de logement qui sont accordées à la plupart de ceux-ci ; dépense qui, si elle était comptée, ferait approcher de cinq millions le total.

  1. Les seuls traitements des quatre directeurs dont on a parlé plus haut, et de leurs bureaux, s’élèvent, au budget de 1848, à près de 600, 000 fr.
  2. Le nombre porté au budget de 1848 est de 2,000 ; mais il y a encore en Afrique une foule de fonctionnaires ou agents dont nous connaissons l’existence sans en connaître exactement le nombre. Les maires (si ces fonctionnaires n’ont presque aucun des pouvoirs des maires de France, ils sont en revanche rétribués), les percepteurs des revenus municipaux, les officiers de la milice, les directeurs et médecins des établissements de bienfaisance, le personnel de la police… c’est à ces différents agents que sont distribués, sous forme de traitement, les 600,000 fr. du budget dont il a été parlé ci-dessus.