Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/485

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gouvernement et aux citoyens. Tant que la presse d’Afrique sera sous le régime de la censure, l’administration locale de l’Algérie sera responsable de tout ce qui s’imprime dans les journaux qu’elle autorise, y fût-elle étrangère ; et nous serons exposés à voir le scandale d’une presse officielle blâmant et quelquefois insultant les grands pouvoirs de l’État.

Sans doute l’administration qui dirige les affaires en Afrique doit être armée de grands pouvoirs ; il faut qu’elle puisse se mouvoir avec agilité et vigueur ; mais il faut en même temps que le pays soit toujours à même de savoir ce qu’elle fait. Des fonctionnaires munis de si grandes prérogatives, placés si loin de l’œil du public, agissant d’après des règles si exceptionnelles et si peu connues, doivent être journellement surveillés et contenus. Les désordres qui ont plusieurs fois éclaté dans l’administration civile d’Afrique n’indiquent-ils pas assez combien il est nécessaire d’entourer de la publicité la plus grande et la plus constante tout ce qui se passe dans son sein ?

Après nous être occupés de la condition des Français en Algérie, il convient de dire un mot de celle des étrangers. Les étrangers qui habitent aujourd’hui le territoire de l’ancienne régence y sont soumis à quelques-unes des charges dont, en France, on les dispense, telles que le service de la milice, par exemple ; mais ils ne possèdent pas légalement plus de droits. Cet état de choses est tout à la fois gênant pour eux, fâcheux et même dangereux pour nous. La plupart des étrangers qui viennent en Algérie ne s’y rendent pas, comme en France, pour y faire un court séjour. Ils désirent s’y fixer. Sur ce point, leur volonté et notre intérêt sont d’accord.

Les y retenir longtemps dans la situation exceptionnelle et dure où les ont placés nos lois, les priver, s’ils n’ont pas obtenu du roi l’autorisation d’y établir leur domicile, de la jouissance des droits civils ; les soumettre à la rigueur des dispositions du Code de procédure ; leur fermer enfin, jusqu’à ce qu’ils aient été naturalisés, comme le veut la constitution de l’an VIII, l’entrée de toutes les carrières, et leur défendre l’exercice de toutes les fonctions publiques quelconques ; c’est leur imposer une condition intolérable, les rendre mobiles et inquiets, et aller contre le but qu’on se propose.