Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/486

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On ne saurait non plus, sans jeter une profonde perturbation dans l’administration de la justice, laisser subsister l’état de choses actuel. En Algérie comme en France, les procès qui naissent entre les étrangers sur la plupart des plus importantes questions, notamment sur les questions d’État, sont de la compétence des consuls. Ils n’arrivent point devant nos tribunaux, ou du moins ils ne sont portés à leur connaissance que par le libre choix des plaideurs. Cela n’a pas d’inconvénient en France, parce que les étrangers sont en petit nombre, comparés au reste de la population, et conséquemment que les procès qui s’élèvent entre eux sont rares. Mais en Afrique, où le nombre des étrangers égale, s’il ne surpasse pas, celui des Français, ces sortes de litiges sont si fréquents, que la juridiction de nos propres tribunaux perd son caractère, et devient pour ainsi dire la juridiction exceptionnelle.

Nous savons que le gouvernement s’occupe de cette question. Nous insistons vivement pour qu’elle soit bientôt résolue. Dans tout ce qui précède, nous venons d’indiquer d’une façon succincte et générale de quelle manière il nous semblait utile de gouverner et d’administrer l’Algérie. Nous n’avons rien dit encore de la première de toutes les conditions de succès, de celle qui les renferme et les résume toutes ; celle-là ne se rencontre pas en Afrique, mais en France même. Jusqu’à présent, l’affaire de l’Afrique n’a pas pris, dans l’attention des Chambres et surtout dans les conseils du gouvernement, le rang que son importance lui assigne. Nous croyons qu’il peut être permis de l’affirmer, sans que personne en particulier ait le droit de se plaindre. La domination paisible et la colonisation rapide de l’Algérie sont assurément les deux plus grands intérêts que la France ait aujourd’hui dans le monde ; ils sont grands en eux-mêmes et par le rapport direct et nécessaire qu’ils ont avec tous les autres. Notre prépondérance en Europe, l’ordre de nos finances, la vie d’une partie de nos concitoyens, notre honneur national, sont ici engagés de la manière la plus formidable. On n’a pas vu cependant jusqu’ici que les grands pouvoirs de l’État se livrassent à l’étude de cette immense question avec une préoccupation constante, ni qu’aucun d’eux en parût visiblement et directement responsable devant le pays. Nul n’a semblé apporter, dans la conduite des affaires d’Afrique, cette sollicitude ardente, prévoyante et soutenue, qu’un gouvernement accorde d’ordinaire aux princi-