Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/520

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L’État s’imposât-il des sacrifices sans limites, ces sacrifices deviendraient encore souvent inutiles. Il ne faut pas croire qu’il n’y ait qu’à fournir à un colon l’argent nécessaire à la culture du sol, pour qu’il parvienne à en tirer parti. Celui qui n’a pas le capital nécessaire à une telle entreprise, a rarement l’expérience et la capacité voulues pour y réussir. N’exposant pas ses propres ressources, ne comptant pas seulement sur lui-même il est rare d’ailleurs qu’il montre cette ardeur, cette ténacité, cette intelligence qui font fructifier le capital, quelquefois le remplacent, mais dont le capital ne tient jamais lieu.

En matière de colonisation d’ailleurs, il faut toujours, quoi qu’on fasse, en revenir à cette alternative :

Ou les conditions économiques du pays qu’il s’agit de peupler, ^ seront telles que ceux qui viendront l’habiter pourront facilement y prospérer et s’y fixer : dans ce cas, il est clair que les hommes et les capitaux y viendront ou y resteront eux-mêmes ; ou une telle condition ne se rencontrera pas, et alors on peut affirmer que rien ne saurait jamais la remplacer.

En rappelant ces principes généraux, messieurs, nous ne prétendons rien dire d’original ni de profond. Nous ne faisons que reproduire les notions de l’expérience et parler comme le simple bon sens.

Si de telles vérités avaient besoin d’être prouvées par des faits, ce qui s’est passé jusqu’ici dans la plupart des villages de l’Algérie nous fournirait ceux-ci en foule.

Or, de quoi, au fond, en écartant les mots et voyant les choses, s’agit-il dans la création des camps agricoles, si ce n’est de reproduire ces villages sous une autre forme ?

Qu’est-ce qu’un camp agricole, messieurs ? sinon un village dans lequel l’État se charge, non-seulement de faire les travaux qui ont un caractère public, mais encore de fournir aux particuliers toutes les ressources qui leur sont nécessaires pour faire fortune, maison, troupeaux, semences, un village qu’il peuple de gens dont la plupart étaient des journaliers en France, et qu’il entreprend de transformer tout à coup à ses frais, en Afrique, en chefs d’exploitation rurale.

Les villages subventionnés et les camps agricoles n’ont entre eux que des différences secondaires ou superficielles ; les deux entre-