Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/550

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en général, quelle impression ne voulez-vous pas qu’il fasse sur la moralité particulière des agents du pouvoir ? Il y a une comparaison qui, quant à moi, m’a singulièrement frappé, dès que j’ai connu le fait.

Il y a trois ans, un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères, fonctionnaire élevé, diffère d’opinions politiques avec le ministre sur un point. Il n’exprime pas sa dissidence d’une manière ostensible, il vote silencieusement.

M. le ministre des affaires étrangères déclare qu’il lui est impossible de vivre dans la compagnie officielle d’un homme qui ne pense pas complètement comme lui ; il le renvoie, ou plutôt, disons le mot, il le chasse. (Mouvement.)

Et aujourd’hui, voici un autre agent placé moins haut dans la hiérarchie, mais plus près de la personne de M. le ministre des affaires étrangères, qui commet les actes que vous savez. (Ecoutez ! écoutez !)

D’abord M. le ministre des affaires étrangères ne nie pas qu’il les ait sus ; il l’a nié depuis, j’admets pour un moment qu’il les ait ignorés

A gauche. Mais non ! mais non !

M. de Tocqueville. Mais s’il peut nier qu’il ait connu ces faits, il ne peut nier du moins qu’ils aient existé et qu’il ne les connaisse aujourd’hui ; ils sont certains. Or, il ne s’agit plus ici entre vous et cet agent d’une dissidence politique, il s’agit d’une dissidence morale, de ce qui tient le plus près et au cœur et à la conscience de l’homme ; ce n’est pas seulement le ministre qui est compromis ici, c’est l’homme, prenez-y bien garde !

Eh bien ! vous qui n’avez pas pu souffrir une dissidence politique plus ou moins grave avec un homme honorable qui n’avait fait que voter contre vous ; et vous ne trouvez pas de blâme, bien plus vous trouvez des récompenses pour le fonctionnaire qui, s’il n’a pas agi d’après votre pensée, vous a indignement compromis, qui vous a mis dans la position