Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/257

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salissant beaucoup la table, versa le punch dans les verres et cria : « Eh bien ! Messieurs, maintenant commençons. » Quand chacun de nous eut pris en main le verre plein, collant, l’étudiant de Derpt et Frost entonnèrent une chanson allemande dans laquelle venait souvent l’exclamation Jucke ! Nous tous, après eux, chantions en désordre, et nous commençâmes à trinquer, à crier, à vanter le punch, à boire l’un avec l’autre, bras dessus, bras dessous, ou simplement, la liqueur forte et douce. Maintenant il n’y avait rien de plus à attendre, la noce était en plein train. J’avais déjà bu un plein verre de punch, on m’en versa un autre. Mes tempes battaient, la lumière me semblait rouge foncé, autour de moi tout le monde criait et riait, et cependant non seulement ce n’était pas joyeux, mais j’étais convaincu que moi et tous les autres, nous nous embêtions, et que moi et tous les autres croyions seulement nécessaire, je ne sais pourquoi, d’avoir l’air très gai. Seul peut-être l’étudiant de Derpt ne feignait pas. Il devenait de plus en plus rouge, il remplissait tous les verres en salissant de plus en plus la table maintenant toute mouillée et poisseuse. Je ne me rappelle pas dans quel ordre les choses se passèrent ensuite, mais je me rappelle qu’en cette soirée, j’aimais fort l’étudiant de Derpt et Frost, que j’appris par cœur la chanson allemande et que je les embrassai tous deux, la bouche sucrée. Je me rappelle aussi que,