Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/113

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et le samovar ne contenait que six verres ; mais c’était d’autant plus agréable de recevoir à tour de rôle son verre de la petite main grasse, aux ongles courts pas très nets, de Maria Henrikovna. Ce soir-là, tous les officiers semblaient amoureux de Maria Henrikovna, et ils l’étaient en effet ; même les officiers qui jouaient aux cartes derrière le paravent quittèrent bientôt leur jeu et vinrent se presser autour du samovar, attirés par l’intérêt général du flirt avec Maria Henrikovna. Celle-ci se voyant entourée de jeunes gens si distingués, si polis, s’épanouissait de bonheur, malgré tout son soin de le cacher et la crainte qu’excitait en elle chaque mouvement de son mari endormi.

Il n’y avait qu’une cuiller ; le sucre était abondant, mais on n’avait pas le temps de le laisser dissoudre, aussi fut-il décidé que Marie Henrikovna remuerait à tour de rôle le sucre de chacun. Rostov versant du rhum dans le verre qu’il venait de recevoir demanda à Maria Henrikovna de lui remuer le sucre.

— Mais vous buvez sans sucre ! dit-elle en souriant comme si ses paroles et ses actes étaient très drôles et à double sens.

— Je n’ai pas besoin de sucre, il faut seulement que vous tourniez avec votre petite main.

Maria Henrikovna y consentit et se mit à chercher la cuiller dont quelqu’un s’était déjà emparé.