Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

relâche, nous resterons au milieu de notre peuple, dans cette capitale et dans d’autres endroits de notre pays, pour conseiller et guider toutes nos milices, aussi bien celles qui barrent maintenant la route à l’ennemi, que celles qui seront formées pour le combattre en quelque endroit qu’il paraisse. Que la perte où il a rêvé nous conduire se tourne contre sa tête et que l’Europe délivrée de l’esclavage glorifie le nom de la Russie ! »

— Voilà, c’est ça ! s’écria le comte en ouvrant ses yeux humides ; et, en s’interrompant plusieurs fois par un reniflement, il prononça :

— Que l’empereur dise seulement un mot, et nous sacrifierons tout, nous n’épargnerons rien.

Chinchine n’avait pas encore réussi à placer la plaisanterie préparée à propos du patriotisme du comte, que Natacha bondissait de sa place et accourait vers son père.

— Quel charme, ce papa ! prononça-t-elle en l’embrassant, et, de nouveau, elle regarda Pierre avec cette coquetterie inconsciente qui lui revenait avec l’animation.

— En voilà une patriote ! dit Chinchine.

— Pas du tout patriote, mais simplement… riposta Natacha offensée. Pour vous, tout est ridicule et ce n’est pas du tout une plaisanterie.

— Quelle plaisanterie ! répéta le comte ; qu’il dise seulement un mot et nous irons tous… Nous ne sommes pas des Allemands quelconques…