Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/239

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clinant vers Alpatitch. Pars toi-même, emporte ce que tu pourras, ordonne aux paysans de partir dans le domaine de Riazan ou près de Moscou.

Alpatitch se serra contre sa jambe et sanglota.

Le prince André le repoussa doucement et, poussant son cheval au galop, partit dans l’allée.

Sur le perron de la serre, toujours avec la même indifférence, comme une mouche sur le visage d’un mort, le vieux était assis et battait la semelle du lapott ; deux fillettes, leurs jupes pleines de prunes qu’elles avaient cueillies aux arbres de la serre, venaient de là en courant et se trouvaient juste sur le chemin du prince André. En apercevant leur jeune seigneur, l’aînée, avec la peur peinte sur son visage, saisit par le bras sa cadette et se cacha avec elle derrière un bouleau, sans avoir le temps de ramasser les prunes vertes qui tombaient.

Le prince André se détourna vivement d’elles, craignant de leur laisser remarquer qu’il les avait aperçues. Il avait pitié de cette jolie fillette effrayée. Il était gêné pour la regarder, mais en même temps il le voulait. Un sentiment nouveau, doux et apaisant, le saisit quand, regardant ces fillettes, il comprit l’existence d’intérêts tout étrangers à lui, humains et semblables à ceux qui l’occupaient. Évidemment les fillettes ne pensaient qu’à une seule chose : emporter et manger les prunes vertes et ne pas être attrapées, et le prince André, avec elles, désirait le succès de leur entreprise. Il ne pouvait s’empêcher