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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/25

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les soldats s’accrochaient l’un à l’autre, tombaient de cheval ; des chevaux se noyaient et même quelques hommes ; d’autres tâchaient de nager, les uns sur les selles, d’autres en se cramponnant à la crinière du cheval. Ils tâchaient de nager en avant, pour gagner l’autre bord, et, bien qu’un gué se trouvât à un demi kilomètre seulement, ils étaient fiers de nager et de se noyer sous les yeux de l’empereur qui était assis sur le tronc et ne regardait même pas ce qu’ils faisaient. Quand l’aide de camp, choisissant un moment favorable, se permit d’attirer l’attention de l’Empereur sur le dévouement des Polonais, le petit homme en redingote grise se leva, appela Berthier, se mit à marcher avec lui de long en large, sur le bord, en lui donnant des ordres, et de temps en temps, jetait un regard mécontent sur les uhlans qui se noyaient et distrayaient son attention.

Elle n’était pas nouvelle pour lui la conviction que sa personne, de l’Afrique aux steppes de Moscou, frappait également les hommes et les plongeait dans la folie de l’oubli d’eux-mêmes. Il demanda un cheval et partit dans son camp.

Une quarantaine de uhlans se noyèrent dans le fleuve malgré les bateaux envoyés à leur secours. La plupart étaient repoussés sur le même bord ; le colonel et quelques hommes franchirent le fleuve et, avec peine, sortirent sur l’autre rive où, les habits tout ruisselants, ils crièrent : Vivat ! en