Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/257

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les Français la gagneraient ; si elle était donnée plus tard, Dieu sait ce qui en arriverait, traduisit en souriant Delorme d’Ideville.

Napoléon n’a pas souri, bien qu’il fût visiblement de bonne humeur ; il ordonna de répéter ces paroles.

Lavrouchka le remarqua et pour l’égayer dit, en feignant de ne pas connaître son interlocuteur :

— Nous savons que chez vous il y a un Bonaparte qui a battu tout le monde, mais quant à nous, c’est une autre affaire, dit-il ; sans savoir ni pourquoi ni comment, à la fin, le patriotisme se glissait dans ses paroles.

Le traducteur transmit ces paroles à Napoléon, sans la fin. Bonaparte sourit : « Le jeune cosaque fit sourire son puissant interlocuteur », dit Thiers. Après avoir fait quelques pas en silence, Napoléon s’adressa à Berthier et lui dit qu’il voudrait savoir quel effet produirait sur cet enfant du Don la nouvelle que l’homme à qui il parlait était l’empereur lui-même, cet empereur qui avait inscrit sur les Pyramides son nom immortel et victorieux.

Ce fut fait.

Lavrouchka, comprenant qu’on voulait l’éblouir et que Napoléon pensait l’effrayer, pour faire plaisir à ses nouveaux maîtres feignit aussi d’être étonné, étourdi, il roula les yeux et prit le même visage que celui qu’il avait quand on l’avait emmené pour être fouetté.