Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/450

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— Et toi, est-ce que tu as peur ? répondit Pierre.

— Comment donc ! lui ne fera pas grâce ! il touchera et alors les entrailles sortiront ! On ne peut pas ne pas avoir peur, dit-il en riant.

Quelques soldats aux visages gais et bons s’arrêtaient près de Pierre. Ils paraissaient croire qu’il ne parlait pas comme tout le monde et la constatation de leur erreur les réjouissait.

— Notre affaire est celle du soldat ! Mais le monsieur, voilà qui est étonnant. En voilà un monsieur !

— À vos places ! cria un tout jeune officier aux soldats groupés autour de Pierre.

On voyait que ce jeune officier remplissait ses fonctions pour la première ou la seconde fois, c’est pourquoi il se montrait si exact et si formaliste envers les soldats et envers ses chefs.

Le feu roulant des canons et des fusils augmentait sur tout le champ, surtout à gauche, là où étaient les flèches de Bagration, mais à cause de la fumée des coups, de l’endroit où était Pierre on ne pouvait presque rien voir. En outre les observations de ce petit cercle — comme une famille — de gens (séparés de tous les autres) qui se trouvaient sur la batterie, absorbaient toute l’attention de Pierre.

La première émotion inconsciente et joyeuse produite par l’aspect et les sons du champ de bataille maintenant, surtout après la vue du soldat