Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol11.djvu/183

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qu’ils avaient pillé. Mais abandonner ce qu’ils avaient volé leur était aussi impossible qu’au singe d’ouvrir sa main pleine de noix.

Dix minutes après l’entrée d’un régiment français dans un arrondissement quelconque de Moscou, il ne restait plus un seul soldat ou officier. Par les fenêtres des maisons on remarquait des gens en capotes qui marchaient dans les chambres en criant.

Dans les caves et les sous-sols, les mêmes gens cherchaient une proie. Dans les cours, ils ouvraient les portes des hangars et des écuries ; dans les cuisines, ils allumaient du feu ; les manches retroussées, ils faisaient la cuisine, étonnés et amusés, ils caressaient les femmes et les enfants. Et il y avait beaucoup et partout de ces mêmes gens, dans les boutiques et les maisons, mais il n’y avait plus d’armée.

Le même jour, l’un après l’autre, des ordres étaient donnés par les chefs français pour défendre aux troupes de se disloquer dans la ville, pour défendre sévèrement toute violence contre les habitants et interdire la maraude, pour faire le soir même l’appel général, mais malgré toutes les défenses et les mesures, les hommes qui formaient autrefois l’armée se dispersaient dans une ville riche, confortable et vide où abondaient des réserves. Comme un troupeau affamé qui marche en tas sur le champ nu mais qui se sépare aussitôt qu’il tombe sur un