Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol11.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au salon, elle rencontra son père qui revenait avec de mauvaises nouvelles.

— Eh voilà ! Nous sommes fichus ! Le club est fermé et la police part, dit-il avec un dépit involontaire.

— Papa, j’ai invité les blessés à venir dans notre maison, ça ne fait rien ?

— Sans doute, rien, dit le comte distraitement. Il ne s’agit pas de cela. Je dis qu’il ne faut plus s’occuper de bêtises, mais aider à emballer et partir, partir, partir demain… Et le comte chargea le maître d’hôtel de donner cet ordre aux domestiques. Pendant le dîner, Pétia, qui rentrait, apporta aussi des nouvelles. Il raconta que le peuple prenait des armes au Kremlin, bien que Rostoptchine eût dit dans ses affiches qu’il ferait l’appel deux jours d’avance, que l’ordre était déjà donné pour que, le lendemain, tout le peuple montât en armes aux Trois-Montagnes où se livrerait une grande bataille.

Pendant que Pétia faisait ce récit, la comtesse regardait avec un effroi timide son visage rouge et gai. Elle savait que si elle disait un mot, si elle demandait à son fils de ne pas aller à ce combat (elle était sûre qu’il s’en réjouissait), il dirait quelque chose sur les hommes, sur l’honneur, sur la patrie, quelque chose de si insensé, de si viril, de si obstiné, qu’il n’y aurait plus rien à objecter et que tout serait manqué.