Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/15

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n’est pas une plaisanterie, qu’il s’agit de sa vie, il lâche l’épée et, saisissant le premier bâton qui lui tombe sous la main, commence à s’en servir. Mais imaginons que l’adversaire qui a si bien employé le moyen le meilleur et le plus simple pour atteindre le but, en même temps, animé des traditions chevaleresques, veuille cacher la chose et raconte avec insistance qu’il a vaincu selon toutes les règles de l’art. Peut-on se représenter quel embrouillement aurait la description d’un tel duel ?

L’escrimeur qui exigeait la lutte selon les règles de l’art, c’était les Français, l’adversaire qui avait quitté l’épée pour le bâton, c’était les Russes ; les hommes qui tâchent d’expliquer tout selon les règles de l’escrime, ce sont les historiens qui ont décrit ces événements.

Depuis l’incendie de Smolensk commençait une guerre qui ne ressemblait à aucune autre.

L’incendie des villes et des villages, le recul après les batailles, le coup de Borodino et de nouveau un recul, l’incendie de Moscou et la capture des maraudeurs, la prise des convois, la guerre des partisans, tout cela n’était qu’exceptions à la règle.

Napoléon le sentit et depuis que, dans l’attitude régulière de l’escrime, il s’était arrêté à Moscou et, au lieu de l’épée de l’adversaire, avait remarqué le bâton levé sur lui, il ne cessa de se plaindre à Koutouzov et à l’empereur Alexandre que la guerre était menée contre toutes les règles (Comme s’il