Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/219

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de la voix, ni un regard, ni un tressaillement du visage, ni un geste de Pierre. En passant elle saisissait chaque mot encore inexprimé, le portait à son cœur ouvert en devinant le sens mystérieux de tout le travail moral de Pierre.

La princesse Marie comprenait le récit, y sympathisait mais elle voyait maintenant autre chose qui absorbait toute son attention : elle voyait la possibilité de l’amour et du bonheur entre Natacha et Pierre et cette idée qui lui venait pour la première fois emplissait son cœur de joie.

Il était trois heures du matin. Les valets aux visages tristes et sévères étaient venus renouveler les bougies, mais personne ne les remarquait.

Pierre termina son récit. Natacha, les yeux brillants, animés, continuait d’observer attentivement Pierre : elle semblait vouloir comprendre encore ce qu’il n’avait pas dit. Pierre, dans une gêne heureuse, la regardait de temps en temps et cherchait ce qu’il fallait dire maintenant pour changer de conversation. La princesse Marie se taisait. Aucun ne pensait qu’il était trois heures et qu’il était temps d’aller dormir.

— On dit : les malheurs de la souffrance, commença Pierre. Oui, si l’on me disait : Veux-tu rester ce que tu étais avant la captivité ou revivre tout ce que tu as vécu ? Au nom de Dieu, encore une fois la captivité et la viande de cheval ! Quand on nous chasse du sentier habituel nous pensons que tout