Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol13.djvu/290

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me semblait avoir surpris ce que personne n’a le droit de voir : la naissance de la fleur mystérieuse de la poésie. Je ressentais de la crainte et de la joie comme le chercheur de trésor qui aurait vu la fleur de bruyère[1]. J’éprouvais de la joie, parce que, tout d’un coup, tout à fait à l’improviste, se découvrait à moi cette pierre philosophale que je cherchais en vain depuis deux années : l’art d’apprendre à exprimer ses pensées. Je ressentais de la crainte parce que cet art provoquait de nouvelles exigences, un monde entier de désirs étrangers au milieu, dans lequel, comme il m’avait semblé au premier abord, vivaient les élèves. On ne pouvait se tromper : ce n’était pas le hasard mais la création consciente. Je demande au lecteur de lire le premier chapitre de la nouvelle et de remarquer cette richesse, cette opulence des traits du vrai talent artistique y répandus. Ce trait, par exemple : la femme, avec colère, se plaint de son mari à son beau-frère, et, malgré cela, cette femme, pour qui l’auteur a une antipathie évidente, pleure quand son beau-frère lui rappelle la ruine de la maison. Pour un auteur qui n’écrit qu’avec l’esprit et le souvenir, la femme querelleuse n’est que l’anti-

  1. Cette expression provient d’une légende populaire russe qui dit que pour découvrir un trésor enfoui, il faut trouver une fleur de bruyère qui ne fleurit qu’une seule fois par an, la nuit de la Saint-Jean, et dont la floraison est gardée par toutes sortes de puissances diaboliques. N. d. T.