Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol14.djvu/210

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— C’est ainsi, mes frères, on m’a envoyé ici pour rien. J’ai dételé un cheval d’un traîneau, on m’a saisi, en disant que je volais. Moi, j’ai dit : « Je voulais seulement aller plus vite, vous voyez bien que j’ai lâché le cheval… D’ailleurs le postillon est mon ami… Et puis il n’y a pas délit. » — « Non, tu as volé, » me dit-on. Et ils ne savaient ni où, ni quand j’avais volé. À vrai dire, j’ai commis autrefois des méfaits qui auraient dû me conduire ici depuis longtemps, mais jamais on n’a pu me prendre sur le fait. Et aujourd’hui c’est contre toute loi qu’on m’envoie ici. Mais laissez faire… J’ai déjà été en Sibérie et je n’y suis pas resté longtemps…

— Et d’où viens-tu ? demanda l’un des forçats.

— Je suis de Vladimir. Je suis un petit marchand de cette localité. Je m’appelle Makar, et, du nom de mon père, Sémionovitch.

Aksénov leva la tête et demanda :

— Eh ! Sémionov, à Vladimir n’as-tu pas entendu parler des marchands Aksénov ? Vivent-ils encore ?

— Comment donc ! Mais ce sont de riches marchands, bien que leur père soit en Sibérie… Il aura sans doute péché comme nous autres… Et toi même, vieux, pour quelle affaire es-tu là ?

Aksénov n’aimait point parler de son malheur. Il soupira et dit :

— C’est pour mes péchés que je suis au bagne depuis vingt-six ans.