Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol14.djvu/30

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l’odeur de la chair de cheval. Il courut au petit trot vers cet endroit et, tout à coup, s’arrêta en dressant l’oreille ; il devina le piège : le petit monticule n’était pas là la veille. Évidemment ce monticule le gênait et le faisait réfléchir. Il fit un grand détour, flaira, écouta et regarda longtemps, de loin, la chair de cheval, si bien que le chasseur ne pouvait tirer sur lui, il était trop éloigné. Le renard pensait, pensait ; tout à coup il passa en courant entre la viande et le monticule. Notre chasseur se garda de tirer : il comprit que le rusé voulait voir s’il n’y avait pas quelqu’un derrière ce monticule. S’il tirait sur lui, il le manquerait sans doute et ne le reverrait plus. Maintenant, le renard s’est rassuré, le monticule ne l’effraye plus. Bravement, au pas, il s’approche de la viande, la mange avec beaucoup de plaisir et le chasseur vise prudemment, sans se hâter, pour ne pas le manquer. Boum ! le renard bondit de douleur et tombe mort. »

Tout, dans ce récit, est arbitraire. Il est arbitraire que l’hiver un renard ait pu voler un canard à un paysan, que le paysan tende un piège au renard, que celui ci dorme le jour dans son trou, tandis qu’en réalité il ne dort que la nuit. Il est arbitraire que le trou, creusé l’hiver, recouvert de planches, ne serve à rien. Il est arbitraire que le renard mange la chair du cheval, ce qu’il ne fait jamais ; arbitraire la soi-disant ruse du renard qui court devant le chasseur, arbitraires le monticule et le chasseur