Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/111

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seule — ni de savoir avec qui elle serait heureuse, ou qui elle aimerait — mais, qu’à l’instant même, il lui faudrait offenser cruellement un homme qu’elle aimait… Pourquoi ? parce que cet homme charmant était amoureux d’elle. Mais il n’y avait rien à faire. Il le fallait, c’était nécessaire. « Mon Dieu ! dois-je moi-même lui parler ? » pensait-elle. « Et que lui dirai-je ? Que je ne l’aime pas ? Ce n’est pas vrai. Que lui dirai-je alors ? Que j’en aime un autre ? Non c’est impossible, je m’en irai, je me sauverai… »

Elle était déjà près de la porte quand elle entendit ses pas. « Non, c’est absurde. De quoi ai-je peur ? Je n’ai rien fait de mal. Il en adviendra ce qu’il pourra ! je dirai la vérité. Oui, avec lui il n’est pas utile de dissimuler ; le voilà, » se dit-elle en apercevant Lévine, si fort et en même temps si timide, dont les yeux brillants étaient fixés sur elle. Elle le regarda bien en face, d’un air suppliant, et lui tendit la main.

— Je crois que je suis venu trop tôt ! dit-il en jetant un regard sur le salon vide.

Quand il se fut rendu compte que son plan avait réussi, que rien ne l’empêchait de s’expliquer, son visage s’assombrit.

— Oh ! non, dit Kitty en s’asseyant près de la table.

— Mais je désirais vous rencontrer seule, commença-t-il sans s’asseoir et sans la regarder pour ne pas perdre courage.