Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/138

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tion ; des facteurs allaient et venaient, des gendarmes et des employés firent leur apparition ; des gens arrivaient à chaque instant attendant des voyageurs. À travers le brouillard glacé on apercevait les ouvriers en pelisses courtes, en bottes molles, qui passaient entre les rails des voies croisées.

On entendit enfin le bruit lointain de la locomotive sur les rails et l’ébranlement sourd d’une masse pesante.

— Non, — reprit Stépan Arkadiévitch que démangeait l’envie de raconter à Vronskï les sentiments de Lévine pour Kitty, — tu n’apprécies pas bien mon Lévine. C’est un garçon très nerveux et parfois un peu désagréable, mais au fond, il est charmant. C’est une nature très droite, très sincère, et un cœur d’or. Seulement hier, il avait des raisons particulières… continua-t-il avec un fin sourire, oubliant tout à fait la compassion sincère qu’il ressentait la veille pour Lévine et éprouvant maintenant le même sentiment pour Vronskï… Il avait des raisons pour être particulièrement heureux ou particulièrement malheureux.

Vronskï s’arrêta et demanda carrément :

— C’est-à-dire ? Peut-être a-t-il demandé hier la main de ta belle-sœur ?…

— Peut-être, dit Stépan Arkadiévitch, j’en ai comme un pressentiment. Oui, s’il est parti de bonne heure et surtout de mauvaise humeur, ce