Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/217

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tout d’un coup de jouer avec elle, et ne se soucièrent nullement de son départ.

Toute la matinée, Anna s’occupa des préparatifs de son départ ; elle écrivit des billets à ses connaissances de Moscou, inscrivit ses comptes et fit ses malles. Dolly ne la trouvait pas calme et remarquait en elle cet état d’âme inquiet, qu’elle-même connaissait par expérience, et qui a généralement pour cause une sorte de mécontentement de soi-même. Après le dîner, Anna alla s’habiller dans sa chambre ; Dolly l’accompagna.

— Comme tu es étrange aujourd’hui ! lui dit-elle.

— Moi ? Tu trouves ? Je ne suis pas étrange, mais je suis mauvaise ; cela m’arrive quelquefois ; j’ai envie de pleurer. C’est très bête, mais cela passera, dit rapidement Anna en penchant son visage rougissant vers un petit sac où elle mettait sa coiffure de nuit et un mouchoir de batiste. Ses yeux avaient un éclat particulier et se remplissaient de larmes. — Je ne voulais pas quitter Pétersbourg et maintenant je ne voudrais plus m’en aller d’ici.

— En venant ici, tu as fait une bonne œuvre, dit Dolly en l’examinant attentivement.

Anna la regarda, les yeux gonflés de larmes.

— Ne dis pas cela, Dolly : je n’ai rien fait et ne pouvais rien faire. Je me demande souvent pourquoi tout le monde me gâte ainsi. Qu’ai-je fait ? Que pouvais-je faire ? Dans ton cœur il y avait assez d’amour pour pardonner…