Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/222

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à Anna, l’une d’elles, une grosse dame âgée, en s’enveloppant les jambes, fit des remarques sur le chauffage. Anna leur répondit quelques mots, mais, ne prévoyant pas une conversation intéressante, elle demanda à Annouchka de lui donner sa petite lanterne, et l’ayant posée près d’elle, elle tira de son sac un coupe-papier et un roman anglais. Tout d’abord elle ne put lire, le remue-ménage et les allées et venues l’en empêchaient ; puis, quand le train fut en marche, le bruit la gêna ; la neige frappait la portière de gauche et recouvrait la vitre, le conducteur tout emmitouflé passait, couvert de neige, et les conversations sur le mauvais temps égarèrent son attention. Enfin, tout devint monotone ; toujours les mêmes secousses avec le même bruit, la même neige frappant la vitre, les mêmes silhouettes des mêmes personnes dans la demi-obscurité et les mêmes voix ; et Anna se mit à lire et à comprendre ce qu’elle lisait. Annouchka sommeillait déjà, tenant sur ses genoux la sacoche rouge dans ses grosses mains couvertes de gants, dont l’un était déchiré.

Anna Arkadiévna lisait et comprenait sa lecture, mais elle était lasse de s’intéresser à la vie des autres ; elle brûlait de vivre elle-même. Lisait-elle que l’héroïne du roman soignait un malade, elle eût voulu marcher à pas légers dans la chambre du patient ; voyait-elle un membre du Parlement prononcer un discours, elle-même eût désiré prendre