Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/25

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concilier avec sa femme par une question d’argent, le blessait.

Après avoir lu les lettres, Stépan Arkadiévitch rapprocha de lui les papiers du ministère, feuilleta rapidement deux dossiers, écrivit au crayon quelques notes et, repoussant les dossiers, prit son café. Tout en buvant, il déplia le journal du matin encore humide et se mit à lire. Stépan Arkadiévitch recevait et lisait un journal libéral non d’opinions extrêmes mais de cette moyenne où se tient la majorité. Bien que ni la science, ni l’art, ni la politique proprement dite ne l’intéressassent il avait une opinion arrêtée sur tous ces sujets : celle de la majorité et de son journal, et il n’en changeait qu’avec la majorité, ou, pour mieux dire il n’en changeait point, mais c’était les opinions elles-mêmes qui se modifiaient insensiblement en lui. Stépan Arkadiévitch ne choisissait ni la direction ni les opinions, elles venaient à lui d’elles-mêmes, de même qu’il ne choisissait pas la forme d’un chapeau ou d’un vêtement mais se conformait à la mode. Avoir des opinions, pour cet homme qui vivait dans un certain milieu, avec le besoin d’une certaine activité de pensée dont le développement s’effectue généralement à l’âge mûr, c’était aussi nécessaire que d’avoir un chapeau. S’il préférait l’opinion libérale à la conservatrice, à laquelle se rangeaient beaucoup de personnes de son monde, c’était moins parce qu’il trouvait l’opinion libérale