Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/58

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raient digne d’elle. Après avoir passé dans le tourbillon de la vie moscovite deux mois, pendant lesquels il rencontrait chaque jour Kitty dans le monde où il commençait à aller dans ce but, il décida tout d’un coup que son projet était d’une réalisation impossible et il repartit à la campagne.

La conviction que Lévine avait de cette impossibilité se basait sur ce que, aux yeux des parents, il était un parti peu brillant, indigne de la charmante Kitty, et qu’elle-même ne pouvait pas l’aimer.

Aux yeux des parents il n’avait aucune situation dans le monde, tandis que ses camarades du même âge étaient déjà colonels, aides de camp, professeurs de l’Université, directeurs de banques, de chemins de fer, ou chefs d’une Chancellerie comme Oblonskï. Et lui (il se rendait très bien compte de l’opinion qu’on pouvait avoir de sa personne) était un simple propriétaire terrien s’occupant de l’élevage des vaches, de la chasse aux bécassines et de bâtisses, c’est-à-dire un garçon pas très doué, n’ayant rien produit et faisant, selon les conceptions du monde, ce que font les gens de rien.

Et Kitty elle-même, cette Kitty mystérieuse, charmante, ne pouvait aimer un homme aussi laid — il se jugeait ainsi — et surtout aussi ordinaire. En outre, ses anciens rapports avec Kitty — rapports d’un homme fait envers une enfant, par suite de l’amitié qui l’unissait au frère — lui semblaient un obstacle de plus pour se faire aimer. Il suppo-