Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/181

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— Il ne s’agit pas de cela. Je ne puis douter de tes sentiments. Mais voici sa lettre ; lis-la.

Elle s’arrêta de nouveau. Tout en lisant, Vronskï comme au moment où Anna lui avait appris sa rupture avec son mari, s’abandonnait malgré lui à l’impression naturelle que provoquait en lui sa situation vis-à-vis du mari outragé. Tandis qu’il tenait la lettre entre ses mains, il songeait malgré lui à la provocation qu’il considérait comme inévitable, aujourd’hui, peut-être demain ce serait chose faite ; il se voyait déjà sur le terrain, le visage empreint de cette même expression calme et fière qui se reflétait à l’heure actuelle sur ses traits ; il se représentait le moment où, ayant déchargé en l’air son pistolet, il attendrait que son adversaire fit feu sur lui. Et au milieu de ces réflexions, il se rappelait soudain les paroles de Serpoukhovskoï ; ses pensées du matin lui revenaient aussi à la mémoire : valait-il pas mieux ne pas se lier ? Mais il ne pouvait être question de cela entre eux.

Sa lecture terminée, il leva les yeux sur elle, mais son regard manquait de fermeté. Elle comprit aussitôt qu’il avait déjà réfléchi et que, quoi qu’il lui dit, il ne lui livrerait pas toute sa pensée ; elle sentit alors son dernier espoir l’abandonner. Son attente était déçue…

— Tu vois quel homme c’est ? dit-elle d’une voix tremblante. Il…

— Laisse-moi te dire que j’en suis très heureux,