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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/209

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il ne laissait à sa femme d’autre occupation ni d’autre souci que de s’ingénier sous sa direction à imaginer les passe-temps les plus gais et les plus agréables.

Si Lévine n’avait pas eu la faculté de voir les gens sous leur aspect le plus favorable, le caractère de Sviajskï n’eût présenté pour lui aucune obscurité. « C’est un imbécile ou une canaille ! » Voilà le jugement qu’il aurait porté sur lui et tout eût été dit. Mais il savait pertinemment que Sviajskï n’était pas un imbécile, il le tenait au contraire pour très intelligent et pour très instruit et il l’estimait en outre, pour sa parfaite simplicité : aucun sujet ne lui était étranger et cependant il ne faisait pas volontairement étalage de ses connaissances.

Encore moins, Lévine pouvait-il dire qu’il fût une canaille ; doué d’une indiscutable honnêteté, d’une grande bonté et d’une intelligence supérieure, il s’adonnait gaîment, passionnément même, à une œuvre très appréciée de tous ceux qui l’entouraient ; bref, c’eût été folie de le croire capable de quelque mauvaise action.

Lévine s’efforçait en vain de le comprendre : Sviajskï et sa vie étaient pour lui comme une énigme vivante. Leur intime liaison l’autorisait à scruter jusqu’au fin fond la vie de son ami, mais c’était toujours sans succès. À chaque nouvelle tentative dans le but de pénétrer les coins les plus cachés de l’esprit de Sviajskï, Lévine consta-