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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/280

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elle, s’animant de plus en plus, et lui révélant ainsi la cause de son irritation, surtout quand il s’agit d’une femme qui ignore tout de ta vie ? Qu’en sais-je, moi ? Ce que tu veux bien m’en dire ? Et qui me prouve que tu me dises la vérité ?

— Anna, tu m’offenses. Est-ce que tu ne me crois pas ? Ne t’ai-je pas dit que je n’ai aucune pensée de cachée pour toi ?

— Oui, oui, dit-elle, s’efforçant visiblement de refouler sa jalousie. Mais si tu savais combien tout cela m’est pénible… Je te crois, je te crois… Alors tu me disais ?

Mais il ne pouvait se rappeler d’un coup ce qu’il voulait dire. Ces scènes de jalousie, qui, depuis les derniers temps, devenaient de plus en plus fréquentes, l’effrayaient, et, bien qu’il s’efforçât de ne pas le laisser paraître, bien qu’il vît en cela la preuve de l’amour d’Anna, il sentait se refroidir ses sentiments à son égard. Combien de fois ne s’était-il pas répété que le bonheur n’existait pour lui que dans cet amour ; et maintenant qu’il se sentait aimé avec cette passion, dont seule est capable la femme qui a tout sacrifié à son amour, le bonheur lui semblait beaucoup plus loin de lui que lorsqu’il l’avait suivie à son départ de Moscou. À ce moment il se trouvait malheureux, mais il espérait en l’avenir ; à l’heure actuelle, il en arrivait au contraire à regretter le passé. De son côté, Anna n’était plus la même ; moralement elle s’était trans-