Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/204

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vive qu’elle n’avait à qui la confier. Elle ne pouvait et ne voulait la partager avec Vronskï. Elle savait que pour lui, bien qu’il fût l’auteur principal de son malheur, la rencontre avec son fils était une chose de peu d’importance. Elle savait qu’il ne pourrait jamais comprendre toute l’étendue de sa souffrance ; elle savait surtout que le ton froid dont il en parlerait le lui ferait haïr, et elle craignait cela par-dessus tout. Aussi lui cachait-elle tout ce qui concernait son fils.

Restée à l’hôtel tout le jour, elle s’ingénia à inventer le moyen de voir son fils, et elle s’arrêta au parti d’écrire directement à son mari. Elle était en train d’écrire cette lettre, quand on lui remit le billet de Lydie Ivanovna. Le silence de la comtesse l’avait humiliée, cependant elle s’y était résignée ; mais le billet, tout ce qu’elle y lut entre les lignes, cette malignité, en réponse à sa tendresse passionnée pour son fils, la révoltèrent, et elle cessa de s’accuser elle-même. « Quelle cruauté, quelle hypocrisie ! dit-elle. Ils veulent me blesser et tourmenter l’enfant, et je les laisserais faire ? Jamais ! Elle est pire que moi ; du moins moi, je ne mens pas ! »

Aussitôt elle décida d’aller le lendemain, anniversaire de la naissance de Serge, chez son mari, d’acheter les domestiques, coûte que coûte, de voir son fils, et de mettre un terme aux mensonges horribles dont on troublait le malheureux enfant.