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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/218

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La nourrice italienne entra à son tour, portant la petite fille qu’elle venait d’habiller. La petite, bien soignée, potelée, en apercevant sa mère lui sourit comme de coutume de sa petite bouche édentée, battant l’air de ses petites mains, à la façon d’un poisson agitant ses nageoires, et se mit à frapper les plis empesés de sa jupe brodée. Il était impossible de lui résister, de ne pas l’embrasser, de lui refuser le doigt auquel elle s’accrochait avec des cris de joie en s’élançant de tout son corps, impossible de lui refuser la lèvre qu’elle prenait dans sa bouche pour l’embrasser, et Anna ne put rester indifférente. Elle prit la fillette dans ses bras, la fit sauter sur ses genoux, baisa ses joues fraîches et ses bras nus, mais la vue même de cette enfant l’obligea à se rendre compte encore plus clairement que le sentiment qu’elle éprouvait pour elle n’était même pas de la tendresse en comparaison de celui qu’elle ressentait pour Serge. Tout en cette petite créature était délicieux, mais son cœur demeurait insensible. Alors qu’elle avait reporté sur son premier enfant, qui était cependant le fils d’un homme qu’elle n’aimait pas, toutes les forces d’un amour inassouvi, sa petite fille née dans les conditions les plus pénibles n’avait pas reçu la centième partie des soins prodigués à son fils. En outre, la fillette ne lui représentait que des espérances, tandis que Serge était presque un homme, et un homme aimé, connaissant déjà la