Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/220

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et aimait tant, fit monter dans son cœur un flot d’amour. « Où est-il ? Pourquoi me laisse-t-il seule avec ma souffrance ? » se demanda-t-elle aussitôt avec amertume, oubliant qu’elle lui dissimulait avec soin tout ce qui touchait son fils. Aussitôt elle lui fit dire de monter chez elle, et l’attendit, le cœur serré, inventant les paroles qu’elle lui dirait ainsi que les mots d’amour avec lesquels il la consolerait. Le domestique revint lui dire que Vronskï avait une visite et qu’il faisait demander si elle pouvait le recevoir avec le prince Iachvine, nouvellement arrivé à Pétersbourg.

« Il ne viendra pas seul ! Et il ne m’a pas vue depuis hier, depuis le dîner, pensa-t-elle. Il ne viendra pas seul, mais il viendra avec Iachvine et je ne pourrai rien lui dire. » Tout à coup une pensée terrible lui traversa l’esprit.

« S’il avait cessé de m’aimer ! »

Aussitôt elle repassa dans sa mémoire les événements des derniers jours ; elle y trouvait la confirmation de cette horrible pensée. La veille il n’avait pas dîné avec elle ; il avait insisté pour ne pas habiter le même appartement qu’elle à Pétersbourg et maintenant il ne venait pas seul, comme s’il eût craint un tête-à-tête.

« Mais son devoir est de me l’avouer, le mien de m’éclairer ! Si c’est vrai, je sais ce qui me reste à faire », se dit-elle, bien qu’incapable de s’imaginer ce qu’elle deviendrait si son indifférence était