Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/391

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Alexandrovna un regard sombre et interrogateur.

Elle ne répondit rien et le regarda seulement. Il poursuivit.

— Qu’il me naisse un fils demain, d’après la loi, ce sera toujours un Karénine qui ne pourra hériter ni de mon nom, ni de mes biens, et quelque bonheur de famille que nous ayons, quelque nombreux que soient nos enfants, entre eux et moi il n’y a pas de lien ; ils sont des Karénine. Comprenez-vous que cette pensée me soit terrible et douloureuse !… J’ai essayé d’en parler à Anna. Cela l’irrite… Elle ne comprend pas, et moi je ne puis lui dire tout… Envisageons maintenant un autre côté de la question : je suis heureux de son amour, mais j’ai besoin de m’occuper. J’ai trouvé ici un travail qui m’intéresse ; j’en suis fier et le crois plus noble que les occupations de mes anciens camarades à la cour et au service et je ne changerais à aucun prix ma besogne pour la leur ; je travaille ici, chez moi, je suis heureux et ne désire rien de plus. J’aime ces occupations. Cela n’est pas un pis-aller, au contraire…

Daria Alexandrovna remarqua alors de l’embrouillement dans ces explications ; elle n’en comprit pas exactement la raison, mais elle sentit qu’ayant commencé à parler de ses sentiments intimes, qu’il ne pouvait discuter avec Anna, il voulait maintenant aller jusqu’au bout, et que tout ce qu’il disait de son travail à la campagne n’était pas sans lien avec eux,