Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/42

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correspondent à ce que j’éprouve en ce moment ! pensa Lévine. Mais elle, les comprend-elle comme moi ? » se demanda-t-il.

Il se détourna, rencontra son regard, et de l’expression de ce regard, il conclut qu’elle comprenait comme lui. Mais il se trompait : Elle ne comprenait point les paroles du service et même ne les écoutait pas ; durant toute la cérémonie elle ne pouvait écouter ni rien comprendre tant était fort l’unique sentiment qui remplissait son âme et augmentait de plus en plus. Elle ressentait la joie intense de voir enfin s’accomplir ce qui pendant plus d’un mois avait fait successivement le bonheur et le tourment de son âme.

Depuis ce jour où, vêtue de sa robe brune, elle s’était, dans le salon de leur maison de l’Arbarte, approchée de lui en silence et lui avait donné son consentement, depuis ce jour, depuis cette heure, elle avait arraché de son âme tout le passé, pour faire place à une existence nouvelle inconnue, tandis qu’en apparence sa vie d’autrefois restait la même. Ces six semaines avaient été pour elle une période à la fois heureuse et tourmentée : toute sa vie, tous ses désirs, tous ses espoirs étaient concentrés sur ce seul homme qu’elle ne comprenait pas bien, vers lequel la poussait un sentiment qu’elle comprenait moins encore et qui tantôt l’attirait vers lui, tantôt l’en éloignait. Cependant elle continuait de mener sa vie ancienne, et elle cons-