Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/191

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fures », lisait-elle au passage. Un homme la salua. C’était le mari d’Annouchka. « Nos parasites », pensa-t-elle, se rappelant l’expression de Vronskï.

— « Nos », pourquoi « nos » ?… C’est terrible qu’on ne puisse arracher le passé. On ne peut l’arracher, mais on peut l’oublier… Et je l’oublierai. »

Elle se rappela son passé avec Alexis Alexandrovitch et comment elle l’avait effacé de sa mémoire.

« Dolly pensera que je quitte un second mari et par conséquent me donnera sûrement tort… Est-ce que je désire avoir raison ? Je ne puis pas ! » se dit-elle, et elle voulut pleurer. Mais aussitôt elle se demanda à quoi pouvaient sourire deux jeunes filles qui passaient : « À l’amour, sans doute ? Elles, ne savent pas combien c’est dur et humiliant… Les boulevards, les enfants… Trois garçons courent et jouent aux chevaux… Serge !… et je perdrai tout… Je ne le retrouverai pas… Oui, je perdrai tout s’il ne retourne pas… Il a peut-être manqué le train ?… Peut-être est-il déjà de retour… Ah ! tu veux de nouveau l’humiliation ! » se dit-elle à elle-même. « Non, je rentrerai chez Dolly et je lui dirai franchement : Je suis malheureuse et je le mérite… Néanmoins, je suis malheureuse, aide-moi… Ces chevaux, cette voiture… Je me méprise moi-même dans cette voiture. Tout cela, c’est à lui… mais je ne le verrai plus. »

En s’imaginant les paroles qu’elle dirait à Dolly,