Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/236

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donc… Oui, combien ai-je été éprouvée ! répéta-t-elle quand Serge Ivanovitch se fut assis près d’elle sur le canapé. On ne peut se l’imaginer ! Pendant six semaines il n’a adressé la parole à personne ; il ne mangeait que quand je l’en suppliais, et pas une minute on ne pouvait le laisser seul. Nous lui avons caché tout ce avec quoi il aurait pu se tuer. Nous habitons l’entresol, mais on ne pouvait rien prévoir. Vous savez qu’une fois déjà il avait voulu se tuer à cause d’elle ! — Les sourcils de la vieille dame se froncèrent à ce souvenir. — Oui, elle a fini comme devait finir une femme pareille ! Même la mort, elle l’a choisie vilaine, lâche.

— Il ne nous appartient pas de juger, comtesse, dit Serge Ivanovitch avec un soupir, mais je comprends que ce doive être pénible pour vous.

— Ah ! ne m’en parlez pas ! J’étais chez moi, à la campagne, mon fils était venu me voir… On apporte un billet… il remet la réponse à l’envoyé… Nous ne savions pas qu’elle était ici, à la gare… Le soir, dès que je fus montée dans ma chambre, ma Mary me raconta qu’à la gare une dame s’était jetée sous le train. Je ne sais pourquoi, mais ça me donna un coup ! Je compris aussitôt que c’était elle. Ma première parole fut pour dire de ne pas lui en parler ; mais il le savait déjà. Son cocher se trouvait là-bas et avait tout vu. Quand j’accourus dans sa chambre il était terrible à voir. Il ne pro-